mercredi 26 juin 2013

[Livre] "A l'encre russe" de Tatiana de Rosnay





"A l'encre russe" de Tatiana de Rosnay
Chez les éditions Héloïse d'Ormesson (EHO)

En quelques mots : Suite au renouvellement de son passeport Nicolas Duhamel met le doigt sur un secret de famille bien gardé... Un secret qu'il va raconter dans son premier roman "L'enveloppe" qui va lui offrir gloire et succès et surtout va bouleverser sa vie en lui donnant une nouvelle identité. Désormais devenu officiellement l'écrivain à succès Nicolas Kolt, Nicolas vit depuis 3 ans une nouvelle vie née du succès de son premier roman. Mais, il doit désormais écrire son deuxième roman... Alors que son premier livre était basé sur l'histoire de sa vie personnelle, sa nouvelle vie n'est que faux semblants et apparences... L'inspiration lui fait défaut depuis des mois... Il décide de partir 3 jours en week-end avec sa compagne, le temps de faire le point, le temps de fuir quelques jours une échéance... Mais tout ne se déroule pas comme prévu. Forcément...


  • En deux mots : succès & secret
  • En une question : Un nom peut-il tout changer ?


[SPOILERS MINIMUM]
Comment ne pas vous parler de "A l'encre russe" sans vraiment spoiler? personnellement je ne peux pas... Vous voilà prévenus...


"A l'encre russe" de Tatiana de Rosnay n'est pas un livre adapté au cinéma, où tout du moins cela n'est encore prévu pour le moment, mais Tatiana de Rosnay est une de mes auteures coup de coeur pour qui je suis de près chaque sortie... Et puis "A l'encre russe" a une petite saveur en plus, puisque grâce à Twitter j'ai presque suivi sa naissance en directe, découvrant même, ce moment où l'auteure cherche un titre ou demande comment l'on traduirait WTF en français (traduction personnelle : C'est quoi ce bordel? ou version "Nabilla" : Allo quoi?)... Bref un livre qui rien que par son titre laissait entendre que l'encre de l'écrivain allait parler... Un titre au multiple lecture et qui peut aussi ne se comprendre qu'à la toute fin du livre...


Tatiana de Rosnay nous propose ici de découvrir l'histoire de Nicolas, un homme entouré de femme qui a perdu son père à l'âge de 10 ans et qui à l'occasion d'un renouvellement de passeport va découvrir que le père qu'il a toujours cru connaitre avait pour l'état civil eu une autre identité. Un secret de famille qui va lui inspirer son premier livre... Car ce qu’il raconte au départ à ses deux amis comme une blague va prendre vie dans un livre. Un secret de famille qui bouleverse doublement sa vie. Mais c'est aussi ici un joli prétexte de l'auteure pour nous parler de l’illusion du succès et l'effet amplificateur des médias mais aussi aborder le trac de l’écrivain quand il doit s'atteler à son prochain roman...

"A l'encre russe" c'est l'histoire d'un homme qui en pleine gloire de son premier roman se dévoile peu à peu tout au long de 3 jours passés loin de chez lui et surtout loin de son quotidien. C'est surtout l'histoire d'un homme en quête d'identité. La sienne et celle des autres. La sienne et celle de son père. La sienne passée, présente et future...

Un livre plein d'anecdotes, de retour en arrière... Durant 3 jours, le narrateur, ne quitte pas Nicolas et nous montre son quotidien tout en nous immergeant dans sa tête lorsqu'il se remémore certains passages de sa vie passé. On découvre alors doucement de page en page ce qui l'a mené à aujourd'hui, mais surtout à celui qui l'est au fond de lui, au delà de ce qu'il parait être. Car Nicolas en découvrant le secret de sa famille a perdu son identité en même temps que le nom de famille qu'il a trouvé... Nicolas Duhamel est devenu Nicolas Kochine mais il se fait appeler Nicolas Kolt tout en restant au fond,  toujours Nicolas Duhamel.  Compliqué? Oui je le conçois, mais Tatiana de Rosnay a l'art d'amener les choses subtilement et avec beaucoup d'humour. Et je vous rassure tout de suite son cheminement est beaucoup mieux amené et expliqué que le mien ici...

Un livre donc sur la quête de l'identité où l'auteure s'amuse aussi à alterner ses personnages. Tatiana fait parler un homme qui fait parler une femme. Son héros est un homme qui est lui même écrivain mais qui écrit un roman sur une femme.  Il a 27 ans en plein succès, son héroïne est plus âgée les cheveux poivre et sel... Cela vous rappelle quelqu'un? Malin, diaboliquement malin... Tout comme de subtils détails ici et là... Il prénomme son héroïne Margaux, le nom d'un ouragan, marquant bien ainsi ce que ce livre à fait dans sa vie. Mais après un ouragan tout n'est-il dévasté?... Il y a un avant et un après Margaux.  Rarement un ouragan n’a été bénéfique… Etonnant ce choix de mot ? pas vraiment... On devine l'auteure derrière qui subtilement nous demande de réfléchir à tout ça...Tout est à reconstruire... Et si Nicolas le réalisait pendant ses 3 jours ?

"A l'encre russe" est un livre savoureux où je note des détails qui me plaisent plus que d'autres : il observe ceux qui l’entourre, physiquement, puis s’amuse à les deviner. Qui ne s’est jamais amusé à ça ? Nicolas a pour premier réflexe lorsqu'il arrive quelque part ou lorsqu'il rencontre quelqu'un de regarder leur montre. Moi c'est les mains... Il collectionne les montres et repère donc dès le premier regard quelle montre est au poignet de l'autre. Quelle marque, quelle modèle. Il faut dire que sa 1ère montre c'est son père lorsqu'il à 10 ans qui la lui offre peu avant de mourir... Mais je n'en dirais pas plus, juste de faire attention aux détails, ils ne sont presque jamais anodins...

Et puis bien sûr, petit plaisir personnel, Tatiana nous raconte que "L'enveloppe" le roman de Nicolas est  même adapté au cinéma, que son héroine est incarné par Robin Wright et qu'elle aura même un oscar pour cette adaptation. Tatiana nous décrit aussi le tournage de cette adaptation, que j’ai finalement parfois encore plus envie de lire que de poursuivre ce livre où Nicolas ne parait pas très attachant. Au départ…

Nicolas est un homme imbu de lui même, qui pense que tout le monde le reconnait, sait qui il est... Il est avec une femme qu'il n'aime pas, Malavina, 22 ans, qu'il trompe par sexto avec une autre, Sabina (la quarantaine rencontrée à Berlin),  tout en pensant à une autre, qui a 9 ans de plus que lui, Delphine, qu'il a laissé partir il y a 5 ans... Delphine son amour "de galère", son amour qui aimait Nicolas Duhamel... Compliqué à nouveau? mais non ! Tout est si bien amené...
D'ailleurs, seule petite déception des passages de sexe assez cru qui peuvent surprendre.  Des passages sans aucune tendresse, seul l’acte et le plaisir personnel de Nicolas compte. Finalement, la vérité crue. Mais qui se comprennent que longtemps après lecture... Subtil...

Comme Tatiana de Rosnay évoque la quête d'identité et le succès, elle évoque aussi à travers son héros l'hyperconnectivité. Nicolas est hyper connecté aux réseaux sociaux mais il est surtout connecté à son image et à ce qu'il renvoie aux autres via les réseaux sociaux. Et donc aussi ce que cela lui renvoi de lui même à lui même... Tout ce qui pourrait écorner son image est repoussé à demain et surtout son second roman qu'il est  censé écrire...

Histoire de fuir encore une fois ses responsabilités, il part donc au Gallo Negro, hôtel de luxe au bord de mer. 3 jours déconnecté, pas de réseaux sociaux. Le blackberry en off ou presque... Mais au moment où il pensait fuir une situation il va se retrouver plus que jamais confronté à lui même...
Pendant 3 jours Nicolas redevient Nicolas, juste Nicolas sans patronyme... Son entourage ne change pas mais lui profondément...Il se rend compte que finalement ce n'est pas les autres qui ont changés avec le succès mais lui... Et son séjour au Gallo Negro viendra le bousculer dans son quotidien, ses habitudes et ses certitudes. Sa vie quotidienne, ses relations professionnelles, ses amitiés et ses amours... J'ai eu un vrai coup de coeur pour ses deux meilleurs ami(e)s : Francois et Lara. 

Un autre vrai coup de coeur aussi pour le souvenir de Nicolas de sa première écriture, de son premier récit...une histoire écrite d'un trait, une page avec ses mots d'enfant et la plume de son père et son encre bleue... Qu'il a repris 14 longues années plus tard pour écrire les premières pages de "l'enveloppe".... 
Est ce encore une anecdote de l'auteure prêtée à son personnage principal?
Penser ici à mon grand-père et ses styles plumes…

Car Tatiana de Rosnay ne s'en est jamais caché, ce roman est né d'une de ses mésaventures : le renouvellement de son passeport... Qu'elle fait ici vivre à Nicolas, qui est d'ailleurs le prénom de son mari... Sa vie se mêle à ses personnages, elle seule sait ce qui lui appartient…

Je m'amuse d'ailleurs au fil de ma lecture à noter comment ici et là elle mêle vérité et fiction. C’est son histoire le renouvellement de passeport. L'héroïne du roman de Nicolas est née à Neuilly comme Tatiana. Son oncle s’est noyé en mer, comme le père de Nicolas. Son héroïne Margaux à les cheveux poivre et sel, comme Tatiana, mais elle a 3 ans de plus… Lorsque Nicolas écrit dans une chambre de bonne qu’il loue pour pouvoir écrire et entend ses voisins faire l’amour, c’est aussi une anecdote que Tatiana de Rosnay a raconté dans quelques interviews...

Tatiana de Rosnay s’amuse et m'amuse beaucoup à nous glisser les petits rituels d’écriture de ses amis auteur(e)s lorsque Nicolas cherche l’inspiration et une méthode de travail. Un vrai délice à découvrir...

Astucieuse, elle ne donne qu'une seule petite description de Nicolas page 100, par Anne l’amie éditrice de Delphine qui le décrit lorsque Nicolas repense à sa première rencontre. Et étrangement mon imagination rejoint la fiction...
Chaque personnage du roman à sa propre saveur, important pour l'histoire ou non. Ils amènent toujours un petit truc en plus. Une piste de réflexion pour nous ou pour Nicolas... Un auteur alcoolique, une guide russe, un barman, la soeur de la marié, une journaliste... Chaque personnage offre une nouvelle perception de Nicolas et de ce qu'il est profondément au delà de son nom de famille...
Le personnage de lily m’a fait éclater de rire ! 

Je note aussi au fil des pages que j'aime le regard ironique, dur et tendre à la fois qu'elle porte sur Nicolas. Elle nous donne le backstage d’un roman. Et porte un regard réaliste et plein d'humour sur le jeu des médias et sur la popularité. Elle évoque aussi subtilement les rapports humains entre Nicolas et ses amis, Nicolas et sa mère, Nicolas et son éditrice... Elle nous rappelle que les liens avec l'autre demande un effort, qu'il n'est pas et qu'il ne doit pas être à sens unique. Prendre le temps de s’intéresser à l’autre demande un effort personnel, sortir de son confort de son égoïsme.

Et puis, à chaque étape de la découverte de l'histoire de Nicolas, il devient de plus en plus touchant, comme un sale gosse qui nous charme sous la carapace... Très touchant lorsque par exemple il tente de contacter son meilleur ami  François, il lui dit qu’il lui manque (sincère) mais lui dit que son nouveau livre est presque fini (ment de nouveau).
1 mensonge pour une vérité ?  1 fiction pour une vérité, comme Tatiana ?
En tout cas en 4 phrases bouleversantes Tatiana de Rosnay, nous bouscule et bascule Nicolas dans le présent et la sympathie. 

Au terme de ma lecture, je retiens beaucoup de choses et c'est peut-être pour cela que j'ai eu autant de mal à écrire ce billet. "A l'encre russe" évoque les origines, les apparences. Et pose une grande question : changer de nom c’est être un autre ?

Avons nous une identité par le nom que nous avons à la naissance. N'est ce pas par les actes et les faits qui nous détermine? Fou. Un nom vient ici tout remettre en cause. Nicolas nous pousse à la réflexion... 

Un livre où l’histoire n’est pas trop dense mais incroyablement subtile. Un livre où l’histoire est dans l'histoire. Un livre sur la quête d’identité les hasards et les coups de pouces inattendues de la vie. Les événements qui nous poussent malgré nous vers notre destin.

Je vais m'arrêter là en espérant que vous aurez vous aussi envie de lire "A l'encre russe" car lire à « l’encre russe » c’est aussi découvrir l'histoire d'un homme qui pourrait être d'un seul coup la vôtre, découvrir le mot APATRIDE et la légende de Victor Noir : au Père Lachaise... J'espère que vous les découvrirez aussi...et surtout je vous souhaite de rencontrer Nicolas Kolt, ou Kochine ou Duhamel...

En bref : Un roman qui fait le point sur le succès et ses dérives. Sur les réseaux sociaux et ses failles. Sur un écrivain et un homme qui ne font qu'un mais qui se sont perdus de vue. Un homme au départ détestable qui redevient peu à peu celui qu'il était. Celui qui l'est au delà des apparences... Un roman qui pousse à réfléchir que la quête de l'identité et sur ce que nous sommes et sur ce qui nous détermine mais surtout comme un secret peut bouleverser une vie. Des vies. Mais aussi comment des événements peut révéler l'autre d'une manière inattendue. Mais "l'encre russe" pousse surtout finalement à l'envie de lire et découvrir un autre livre... "L'enveloppe"


Morceaux choisis / Citations :


« Chaque montre raconte une histoire répondit-t’il à un journaliste. Qui vous l’a offerte, à quelle occasion ou, si vous vous l’êtes achetée, où et comment. »

« Puis il s’était aperçu, avec une sorte de plaisir secret, que plus il accordait d’interview, plus Théodore Duhamel connaissait une renaissance virtuell, inespérée. Ses mots ressuscitaient son père, lui donnait chair, le libéraient du manteau de poussière dans lequel le temps l’avait figé. »

« Son père, c’était Gatsby » la réussite fulgurante mais amoureux de son amour de jeunesse ? étrange comparaison.

« Tu comprends ? Il faut que tu immortalises ce moment avant qu’il se dissipe pour toujours, comme si tu prenais une photo, mais avec des mots. Tu vois ? »

« Oh allez, nicolas reconnaît… Pendant des années, tu es un bon à rien, à rater tes examens et à vivre aux crochets de ta mère et d’une femme plus âgée, puis tout à coup, tu renouvelles ton passeport, et paf ! tu écris un roman qui est lu dans le monde entier, par des gosses de 12 ans qui n’aiment pas lire, des mamies ménagères de moins de 50 ans, des hommes d’affaires, des premières dames, des acteurs de ciné… On t’aime toujours mais on est jaloux, quoi ! Sauf que ce pauvre François, il n’ose pas te le dire en face ! » Lara sa meilleure amie.

« -Tu me manques, maman.
-Toi aussi, Nicolas
-On a du temps à rattraper, hein ?
-C’est sûr. »
 " Il souffrait encore de la déception de sa mère, même si elle ne l’exprimait jamais. »
« Tu te souviens de jack et Rose ? Rose s’en est tirée, pas Jack. »
« La vie, ce n’est pas être reconnu dans la rue par des lecteurs en extase. La vie, ce n’est pas de savoir combien de gens te suivent sur twitter et combien d’amis tu as sur facebook. Dis à Nicolas Kolt qu’il ne m’intéresse pas. »

« Mercure rétrograde »

« Mais cela ne durait jamais. Inévitablement, il se reconnectait, comme un alcoolique se sert un autre vert tout en se haïssant. »

« Ces mots, il ne les prononça pas, mais il eut l’impression étrange qu’elle les avait saisis au vol, alors qu’ils flottaient muets mais palpables, dans le silence. »

« La seule vérité, ce sont les mots sur la page et la façon dont ils prennent vie. C’est pour ça que les écrivains sont orgueilleux. Parce qu’ils sont les seuls à savoir leur donner vie. »


Il n'est pas prévu pour le moment d'adaptation, mais tout est possible... 4 des derniers romans de Tatiana de Rosnay sont en cours d'adaptation...


Scoop : 

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