mardi 20 août 2013

[Livre] "L'amour sans le faire'" de Serge Joncour



«  L’Amour sans le faire » de Serge Joncour
Chez Flammarion

En quelques mots : Après 10 ans de silence, Franck revient chez ses parents.  10 ans que son petit-frère est décédé, 10 ans que les non-dits demeurent. 10 ans que chacun a vécu à sa manière.


  • En deux mots : lien & choix
  • En une question : l’amour peut-il se taire ?
SPOILER MINIMUM

Après avoir dévoré « L’idole » et « Combien de fois je t’aime », le dernier roman de Serge Joncour « L’amour sans le faire » s’imposait dans ma bibliothèque. Comme  à chaque lecture, je me surprends à corner un nombre de passage assez impressionnant. Serge Joncour a décidément l’art et la manière de pointer les sentiments comme peu d’auteur le font. Il nous présente des moments de vie si anodin et plein de sens que l’on se surprend sur quelques pages à réaliser au bout de quelques minutes que l’on a stopper la lecture pour laisser notre esprit vagabonder et analyser ce que l’on vient de lire….

Ici Serge Joncour fait parler Franck. Franck est reporter il voit le monde à travers une caméra depuis des années et il est à un moment de sa vie où souffrant et en convalescence il va vouloir retourner à l’essentiel. On découvre alors que Franck a grandi à la campagne, dans une ferme, avec Alexandre sont frère. Enfants de la campagne, ils ont grandit dans une ferme, mais là où Franck a voulu a tout prix partir loin de la ferme, Alex lui y est resté pour réprendre le flambeau. Franck est plein de pudeur et de silence. Il porte en lui la difficulté de dialoguer avec les autres et surtout ses parents parce que aujourd'hui ce retour à la ferme est importante. Il a lieu après 10 ans de silence... 10 ans après l'enterrement de son frère mort dans un accident de chasse.

Mon côté Mère Thérésa forcément a envie de prendre Franck sous son aile alors qu’il s’est mis lui  même dans la situation qu’il connaît aujourd’hui. Il est seul. 10 ans qu’il n’a pas vu ses parents. Mais comme souvent lorsque l’on perd tout, on a envie de revenir à ses racines et c’est ce que fait Franck. Il revient à la ferme, mais les choses ont changés. Un petit bonhomme est là. Alexandre. Remplace t’il le frère perdu ? Il y rencontre aussi Louise, solitaire qui ne sait jamais remise de la mort d’Alexandre. En plus ,elle n’en a pas envie…
Le temps de quelques jours Louise et Franck vont partager bien plus que ce qu’ils ont pu partager ses dernières années…

On s’attache aux personnages au même rythme que l’histoire, en douceur, je tombe sous le charme de Franck, bonhomme maladroit dans ses sentiments qui se rend compte que ses racines sont ce qui le détermine le mieux.

J’ai vraiment adoré la pudeur de Franck comme par exemple lorsqu'il ne parvient pas à nommer le petit garçon de son prénom, j’ai été touché par Louise qui s’interdit d’aimer, j’ai sincèrement été bouleversé par cette mère qui a su laisser son fils revenir sans le juger après tout ce silence et j’ai été touché par ce père qui de peu de mot dit tellement. Et puis ce petit garçon plein de vie …

L’amour sans le faire c’est donner sens au mot « Amour » et aux liens du sang qui ne sont pas forcément les liens du cœur… Le titre prend toute son ampleur lorsque l'on refaire la dernière page et que l'on repense à tout ce que l'on vient de lire. Aimer, ce n'est pas forcément le faire, ce n'est pas forcément le montrer ou le dire, c'est aussi aimer en silence, malgré soi, malgré tout...

Un livre qui n'a pas pour le moment de projet au cinéma mais il se déroule pourtant tel un film... La dédicace qu'il m'a fait sur ce livre au Salon du Livre 2013, me laisse penser que tout est possible...


En bref : Un roman plein de tac qui met en avant les sentiments et les liens de la famille et du sang. Des liens qui doivent composer avec la personnalité de chacun. Des liens qui se révèlent en revenant sur le passé pour poursuivre son avenir. Définitivement fan de la plume de Serge Joncour.

Morceaux choisis / Citations :

"Cette intonation solaire, cette voix de gosse improbable, elle lui fit tout de suite penser à celle de son frère, mais ça ne se pouvait pas, il y avait bien longtemps qu’Alexandre n’était plus un enfant, et surtout il était mort depuis dix ans. Par réflexe il hasarda :
-       Alexandre ?
-       Oui, et toi c’est qui ?
Là-dessus Franck lâcha le téléphone comme un couteau qui viendrait juste de le couper."

"Ce n’est pas elle qui est distante, ce sont toutes les choses autour d’elle qui le sont devenues."

"On ne refait pas sa vie, c’est juste l’ancienne sur laquelle on insiste."
"C’est un bien intime secret, que les autres ne sachent pas son prénom, d’être la seule à savoir, c’est une forme de protection, si d’un coup quelqu’un se mettait à l’appeler Louise, elle en sursauterait, elle en serait même choquée, c’en est presque une hantise."

"Il remit son iPod. Avec la musique tout devient spectacle."

"Souvent il surprend chez lui une attitude que chez un autre il ne supporterait pas. Que les autres soient décevants, c’était fatalement concevable, mais s’y surprendre soi c’était mortifiant."

"Ce genre de déraillements, pour lui, c’était une hantise, c’est comme le mot de trop dans la colère, la seconde d’inattention d’avant les accidents, le genre de fautes irrécupérables dont on ne finit jamais de s’en vouloir."

"Louise se revoit avec Alexandre. Il n’y a qu’avec Alexandre qu’elle aura eu ces gestes-là, celui de lui prendre le bras, ou de poser sa tête sur son épaule, elle l’appelait « mon arbre », elle le ressentait comme ça, elle avait souvent ce besoin de s’y adosser, de ce reposer sur lui."
"Ne pas arriver à se dire les choses c’est peut-être la forme la plus édulcorée de la sincérité, ne pas arriver à se parler c’est une façon de retenir les mots à soi, de les penser à un point tel qu’on n’arrive même plus à s’en détacher, de la sincérité à l’état brut."

"La vitesse est une folie qui résout pour un temps la question de la peur, en roulant à fond, sa peur on la décide, on la repousse de plus en plus loin, quand elle vient de soi, la peur, pour le coup elle n’effraye pas, on la contrôle, d’un simple mouvement du poignet on l’attise ou on l’éteint."

"Dans une ville de province, c’est fatal, on finit toujours par se croiser, dans une ville de province on ne sort jamais de son passé."

"Elle en est là, à se dire qu’aimer ce serait s’offrir à toute sorte de périls, toute sorte d’occasions de souffrir."

"Son enfant, c’est tout ce qui reste d’elle à aimer, alors autant qu’il soit loin d’elle, au moins elle ne l’abîme pas, cette part hautement aimable d’elle-même, cette seule part infiniment estimable."

"Parfois elle se demande si derrière cette application à fuir sa vie, il n’y aurait pas le secret dessein de n’avoir pas à la regretter, de tout rater pour ne rien avoir à perdre au moment de la quitter."

"Franck se sentit atteint par le paradoxe de regretter très précisément ce qu’il avait fui. Ces changements il les vivait comme des trahisons, depuis l’enfance ces décors continuaient d’exister en lui dans une permanence fantasmée, il les imaginait intacts, comme si tout ici eût dû être immuable."

"L’enfant, c’est toujours une manière de s’inventer une suite, de se construire un avenir, en dehors de quoi il ne reste plus rien, d’un couple une fois défit il ne subsiste plus rien, sinon des murs parfois, des souvenirs éparpillés dans la tête de chacun, mais les souvenirs, c’est rarement les meilleurs qui dominent, c’est souvent les derniers."

"Toi, c’est Frank. Je le sais, tes parents, ils cherchent ton nom à la fin des émissions, quand c’est fini ils se mettent devant la télé pour les lire les petites lignes."

"Du coup il se retrouva planté là, comme s’il n’était pas venu, comme si sa présence n’était d’aucun effet, seule la voix de l’enfant avait prononcé son prénom, il n’y avait eu que ce môme improbable pour lui parler vraiment, et à l’avoir touché."

"il y a cinq chiens dans la vie d’un homme."

"Ne pas avoir d’enfant, c’était se condamner à rester l’enfant de ses parents. "

"Pour la première fois de sa vie il explorait ce moment-là du jour où l’aujourd’hui bascule vers le demain."

"Ne pas pouvoir s’aimer, c’est peut-être encore plus fort que de s’aimer vraiment, peut-être vaut-il mieux s’en tenir à ça, à cette très haute idée qu’on se fait de l’autre sans tout en connaître, en rester à cette passion non encore franchie, à cet amour non réalisé mais ressenti jusqu’au plus intime, s’aimer en ne faisant que se le dire, s’en plaindre ou s’en désoler, s’aimer à cette distance où les bras ne se rejoignent ps, sinon )à peine du bout des doigts pour une caresse, une tête posée sur les genoux, une distance qui permet tout de même de chuchoter, mais pas de cri, pas de souffle, pas d’éternité, on s’aime et on s’en tient là. (…)"
"il ferma les yeux sur ce parfum d’enfance, c’était le silence complet, seul le bruit de la rivière les enveloppa du souvenir infini de son frère, l’infini remords de l’avoir abandonné."

"Dans l’enfance on n’existe que par son prénom, on ne se fait jamais appeler que comme ça, par son prénom, à moins d’avoir la fantaisie d’un diminutif. La toute première fois qu’on entend son nom en entier, qu’on se voit y répondre, en général c’est que les choses sérieuses commencent, ça peut faire peur au début."

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