samedi 18 août 2012

[Livre] "L'idole" de Serge Joncour



"L'idole" de Serge Joncour
Editions : Flammarion

En quelques mots : George Frangin, célibataire parisien et chômeur de 46 ans, découvre un jour que les gens dans la rue lui sourit, lui font signe de loin. Pensant un premier temps à une confusion de personne, il se rend rapidement compte que tout ceux de son quartier le salue, lui disent bonjour. Puis pour tester sa théorie de reconnaissance de proximité, il pousse un peu plus loin et se rend rapidement compte qu’il est en fait connu de tous. Le problème c’est que Georges n’a absolument rien fait pour l’obtenir. Alors comment gérer cela alors que cette célébrité est aussi soudaine qu’inattendue …

  • en 2 mots : célébrité & changement
  • en 1 question : comment comprendre l’impossible  ?

SPOILER MINIMUM



Adapté prochainement aussi cinéma par Xavier Giantonni, j’ai découvert « L’idole » de Serge Joncour complètement par hasard. A nouveau le cinéma m’a mené vers un auteur incroyable. Un auteur qui sait en quelques mots nous donner un univers, un sentiment, une ambiance... A coup d'exemples simples, concrets et sincères on est très vite embarqués dans une histoire incroyable...

Avec une narration à la première personne du singulier, on est immédiatement dans la tête de Georges Frangin (notez le nom pas forcément anodin qui rend familier, comme un bon pote, un mec qu’on a envie d'attraper par l’épaule, de soutenir…), Mr Tout le monde qui découvre un beau jour que les gens qu'il croise lui adressent des sourires, des petits signes. Que l'on veut absolument lui parler, le prendre en photo... Mais lui n'a qu'une question en tête : Pourquoi??? Et du coup nous aussi !

On imagine très bien et très vite ce que peut ressentir cet homme qui un jour devient connu de tous. Encore plus déroutant lorsque l'on a rien fait pour. Et oui, à priori dans la majorité des cas, on sait pourquoi on est célèbre. Acteur, chanteur, artiste, sportif, politicien ou autres ont tous a priori fait quelque chose pour devenir célèbre. Mais ici Georges ne sait rien, alors il cherche, il réfléchit, fouille dans son passé. Sans vraiment trouver ce qui du jour au lendemain peut justifier cette célébrité incroyable.  Heureusement, c’est ici une popularité positive, bienveillante, donc heureuse. Il l'a note, puis la découvre, la vit pleinement pour finalement aussi découvrir l'envers du décor de la popularité ...

Un livre où tout le long des pages on se pose 1000 questions, où l'on se projette à la place de cet homme, qui plein d'humour et de bons sens, analyse ce qui lui arrive...

Bien écrit, très fluide et dynamique, on suit l’histoire avec curiosité et un peu d’envie. Serge Joncour écrit si bien, il partage ici de l'intérieur l'expérience vécu par George en mots simples et plaisants. On sympathise immédiatement avec ce personnage « célèbre » complètement perdu, qui prend les choses avec un calme et une philosophie très touchante. Comme lorsqu’il pleut et que l’on a pas de parapluie, nous dit-il.  Il observe sa célébrité avec bonhommie.  Il a beau réfléchir, il ne voit pas ce qu’il peut avoir dit ou fait. Il se trouve bien trop banal. Et puis comme il le dit, il ne se souvient jamais lui-même des noms des célébrités. Il évoque une Claudia, actrice étrangère, un chanteur nommé Patrick qui racontait que c’était terrible de voir des femmes courir après lui (petite gymnastique délicieuse au fil de la lecture).

On s’étonne d'ailleurs au début de la lecture, aux deux premiers jours, de son manque d’enquête, comme si il voulait ne pas trop savoir pour ne pas avoir à détromper les gens. Pour profiter encore de la chose. Et puis un soir devant la TV il se voit dedans : "Autant on est habitué à voir à peu près n’importe qui dans sa télévision, autant de s’y découvrir soi, surtout sans y avoir été invité, produit un choc effroyable".

On suit alors George dans sa quête, mentale de comprendre cette célébrité soudaine.  On réfléchit avec lui, lorsqu'il liste tout ce qu’il n’est pas ("je ne chante pas, je ne danse pas, je n’ai pas joué au foot depuis l’école…")... On est en attente tout comme lui, sans comprendre pourquoi il ne pose pas plus de question à son entourage. Peut-être est il un sosie, peut-être a-t'il raté une info au milieu du (trop) grand nombre de média. Je me surprend même à réfléchir avant lui, et si il était amnésique? Et si il rêvait? De page en page on découvre qui il est, son vécu, son pourquoi il est là où il est aujourd'hui. Son côté rêveur et réaliste à la fois, sur  ce qu'il est, ces petits rien qui le rendent profondément attachant. On compatie à son déroutement, à sa soudaine célébrité, à ses sourires qu’il attrape, mais on le plaint sincèrement de ce qu’il traverse dans cette solitude désarmante…

Cela doit être bien déstabilisant d’être une célébrité, d’être reconnu par tous sans même savoir pourquoi. Sans être un artiste ou avoir un don particulier ou fait quoique ce soit. Personnellement cela me rendrait dingue !Mais Georges se laisse ici porter par la célébrité sans chercher à la comprendre, la contredire ou même la maitriser.

Très frustrant, mais aussi très malin de la part de l'auteur de ne donner que des informations par petits bouts, mais surtout comme George les découvre, les vit, les analyse, et les réfléchit. Très malin et surtout avec beaucoup d'humour. Les situations que traversent Georges sont absolument géniale et vraiment très drôle.

Sa visite chez le docteur est savoureuse, il cherche de l’aide auprès de la seule personne qui ne veut pas savoir qui il est en dehors de son cabinet. L’échange avec sa banquière qui tire un franc sourire sur les lèvres du lecteur : il est d’un seul coup le client le plus important, on lui passe tout, on lui excuse tout. « De toute façon, mon cher Monsieur Frangin sachez le, il ne faut pas attendre d’avoir de l’argent pour le dépenser. Après tout les banques sont là pour ça. ». Sans oublier l’épisode de ANPE qui est un petit régal.
Le rapport aux célébrités et à la célébrité est troublant et m’a toujours interpellé. C’est ici extremement bien décrit. Extrêmement bien amené. On découvre l'évolution quelle prend, la place quelle peut prendre dans un quotidien et surtout la rapidité à laquelle elle peut arriver... Mais aussi tout le côté complètement absurde que cela peut donner à certaines situations et aux gens que l'on côtoie.
Comme lors de sa première "rencontre" avec le libraire que lui demande une dédicace en lui demande de signer n’importe quoi, une bafouille sur un dictionnaire des synonymes ou un livre de recette de cuisine... Et je pense à certains artistes que j’ai pu voir signer sur des canettes de soda vides ou un paquet de bonbon (véridique)... On s'attendrit également lorsque déjà dérouté par tout ce qui lui arrive, il se fait sincère et qu'il s'entend dire « Allez, faites pas votre star, sinon je répète à tout le monde que vous êtes un bêcheur, un type pas sympa… ».

Combien de fois je me suis posée la question de ce qu'ils pouvaient bien ressentir ses artistes que j'ai pu croiser ou je croise parfois... Ici Serge Joncour l'explique en une phrase :
« Je l’assure rien n’est plus déstabilisant que de voir un inconnu se planter devant vous avec un air d’intelligence : cela suppose que ce gars là en sait déjà long sur vous, alors que vous-même ne savez rien de lui. »


On découvre lentement que finalement il ne cherche pas du tout à comprendre concrètement d’où vient sa célébrité. Il l’aime, elle le sort de sa solitude… Pour prolonger le plaisir de ce cadeau  si soudain, il prend son temps. Entrainé par le monde qui l’entoure et l’opportunisme d’une chaine TV qui va vite. Ce qui prouve aussi tristement sa grande solitude et l’aberration des médias et du public qui adhère a ce qui est dit sans aucune raison ni sens. Et puis sa nouvelle célébrité va même lui donner  une assurance  qu'il n'a jamais eu, une nouvelle  légitimité. Il va même jusqu'à envisager d'être un envoyé de Dieu. Et si comme lui, il était choisi parmi t’en d’autres ?« Je rentrai chez moi en marchant par des zones mal éclairées, seul dans le noir, je me sentais le jouet d’une conspiration transcendantale, un projet ourdi de longue date, un messie mal informé. »

Un livre passionnant, riche d'anecdotes pleine de sens, riche de sous entendus poussant à la réflexion. Chaque étape de lecture amène un élément de compréhension supplémentaire. Ponctué de moments et souvenirs sympathiques, ils permettent à chaque fois de donner un nouveau sens à l'histoire en cours. Un nouvel angle de perception de ce qu'il peut ressentir... L'évolution de cette expérience nouvelle. Car oui, sa célébrité évolue, de bienfaisante elle devient envahissante, puis destructrice... Terrible de se savoir connu et pas vu... C'est alors être ignoré. Plus facile d'être un anonyme inconnu qu'un connu anonyme.

C'est là où Serge Joncour fait fort, il arrive par une histoire simple et des anecdotes sympathiques à nous faire réfléchir sur 1000 choses... Sorti en 2004, en pleine génération télé réalité, Serge Joncour met ici en avant le poids et l'impact de la célébrité, la perception que l'on peut en avoir de l'extérieur, mais surtout ici le côté "backstage"... Entre compréhension et compassion, il dresse également un portrait des communicants des plus méprisables.... Journalistes, président de chaine de TV, attachée de presse... qui communiquent à tout prix même avec rien…

Un livre qui dénonce l'air de rien, les dérives des médias, l'absurdité de l'être humain qui suit les choses juste parce qu'on lui dit de le faire. La complexité de la célébrité et de son rapport aux autres...
Que feriez vous si d'un coup, tout de vous était mis en avant? que votre vie privée était disséquée et dans les médias? qu'il faille chaque jour à toute heure, sourire à tout le monde et tout le temps?... Compliqué... Un livre passionnant...


Enfin, j'ose une comparaison osée, mais qui ne m'a pas quitté une fois le livre terminé : 
Georges c’est un peu le frère jumeau ennemi de Mickael Vendetta, célèbre malgré lui sans rien faire alors que Mickael veut absolument l’être sans rien faire de concret non plus. Il obtient ce dont Mickael rêve : la célébrité sans rien faire.
Le livre est sortie en 2004, Mickael était à la ferme en 2010... L'aurait-il lu ^^ ?


En bref : Un livre rafraichissant, dynamique et plein de sens. On se régale à chaque page. On compatit pour George et ce qu’il traverse. Mais surtout un livre qui dénonce les limites et les failles de la célébrité. L’envers de la médaille.


Morceaux choisis / Citation : 

« Seulement voilà, il est dans la nature de l’homme de pousser plus avant ses déséquilibres, de prolonger abondamment ses ivresses, c’est pourquoi, au lieu de faire demi-tour, je continuai de marcher au milieu du monde et de sa reconnaissance magnifique, j’explorai cette sensation déroutante, cette grâce inédite qu’il y a à voir tout le monde s’étonner que ce soit bien vous qui passiez là.  »

« Comprendre finit toujours par rassurer. »

« Je suis né de la dernière pluie, et la terre est encore humide. »

« Des millions d’étrangers font chaque année des milliers de kilomètres pour fouler les Champs-Elysées, ils payent même une fortune pour ça alors que moi il me suffisait d’un ticket »

« (…) on me reconnaissait ce don, cette aptitude à m’illustrer en ne faisant rien, à rendre le vide spectaculaire. Je ne faisais rien et on me reconnaissait ça. « 

« Il y a tant de nouvelles nouveautés. »

« L’actualité n’est qu’une suite d’épisodes rattachés par rien, sans autre ligne directrice que le meilleur des uns pour distraire les autres, et le bonheur des autres pour dédommager le malheur des uns.»

« Quel soulagement, enfin je tenais là l’indice de la méprise globale et généralisée, enfin j’avais la preuve de ce malentendu phénoménal qui était à l’origine de tout ça. »

« Dans la vie, le seul qui puisse à tout moment vous renseigner sur votre cas, déterminer au plus près ce qui vous arrive, c’est bien souvent le toubib ».
« Dans le fond c’est cruel de ne pas être reconnu dès lors que l’on se sait célèbre. Je dirais même que c’est blessant. »

« Divertir sa solitude dans l’indifférence des autres. »

« Pour une fois je goutais ce parfait gâteau de la reconnaissance, je m’en rassasiais. Comme un enfant, je faisais des détours interminables pour replonger à pleines mains dans la gloire, je ne craignais pas de m’en mettre partout, après quoi je rentrais chez moi sans plus me défaire de ce franc sourire que je leur renvoyais à tous, et dans mon canapé. Je fermais les yeux et repensais à tout ça, je digérais infiniment le sucre lent de l’estime, sans même avoir besoin d’allumer la télé, je me regardais en dedans et c’était distrayant. »

« C’est vrai qu’il y a des jours où on a juste envie de rentrer chez soi avant que sa baguette ne refroidisse, célèbre ou pas il y a des jours où on a juste envie de tartiner sur du chaud. »

« - mais quel besoin de faire un livre ?
-       voyons, de nos jours le livre c’est la relique, les gens l’achètent pour s’approprier un fragment de la star, comme ils le feraient d’un vieux mouchoir ou d’un mégot. Le problème c’est qu’aujourd’hui les mouchoirs sont en papier et que les vedettes ne fument plus. D’où la nécessité du livre. ».

« La célébrité confronte à des questions dont je n’aurais jamais soupçonné que j’eusse un jour à me les poser. »

« L’essentiel n’est pas de savoir pourquoi on le devient, mais ce qu’il faut faire pour le rester. »

« Les magazines avaient raison, c’est énorme ce qu’on gagne à être connu, c’est fort ce que ça déporte. »

« Je vois les égo croître à mesure qu’ils se rapprochent. »

« Avant, les artistes étaient des gens qui gagnaient à être connus, alors qu’aujourd’hui ils cherchent simplement à l’être…. »

« Dites vous que le procédé de la littérature est tout ce qu’il y a de complexe, entre ce que la télé dit d’un livre, ce que le lecteur en comprend, et ce que l’auteur a voulu dire, il y a des déperditions terribles, ça confine au malentendu(…) »

L'adaptation sort au cinéma le 29 août !
"Superstar" de Xavier Giannoli
avec Kad Merad dans le rôle titre ! Hâte de découvrir comment Xavier Giannoli a pu retranscrire tout cela à l'écran car beaucoup il y a ici beaucoup de réflexion intérieure... Hâte de voir ce qu'il a pu y rajouter...

Up date voici mon avis ici : http://noaetsonmonde.blogspot.fr/2012/08/cinema-supestar-de-xavier-giannoli.html

1 commentaire: