lundi 28 mai 2012

[Cinéma] "Cosmopolis" de David Cronenberg

 

"Cosmopolis" de David Cronenberg
Distribué par : Stone Angel
http://www.cosmopolis-lefilm.com

En quelques mots : Eric Packer, golden boy brillant, désabusé et sûr de lui, mène une vie organisée, sécurisée et maitrise a peu près tout ce qui l'entoure.  Dans un New York, hypnotique, il décide un matin de se faire couper les cheveux. Une journée et une nuit pour plonger dans la vie et rouler vers son destin dans la limousine qu'il a créé sur mesure et à sa mesure...

  • 2 mots : capitalisme & constat
  • 1 question : L’avenir se trouve dans le passé ou le futur ?

Dernier film de David Cronenberg « Cosmopolis » est sorti cette semaine, en plein festival de Cannes…
Adaptation du roman de Don DeLillo (mon avis en bas de ce billet), « Cosmopolis » est un pari assez osé, mais j’ai envie de dire pleinement réussi.
Osé ? parce qu’il met en image un livre bavard, lent, hypnotique qui oscille entre folie et vérité, mais surtout parce que David Cronenberg a choisi Robert Pattinson pour incarner le rôle principal d’Eric Packer. En même temps qui mieux que lui pouvait révéler et faire prendre le meilleur virage possible à celui-ci ? On sait bien que les critiques attendaient sa prestation avec beaucoup d’à priori « twilightesque »… Et pourtant Robert Pattinson est déjà bluffant dans le rôle d’Edward Cullen. Ceux qui ont lu le livre me comprennent. Ici n'est pas le débat mais je pense que ce nouveau rôle a fait voler pas mal d’étiquettes et peut-être fait partir pas mal de midinette ^^.

Bref, ici David Cronenberg signe un petit chef d’œuvre. Un bijou de mise en scène. Une adaptation littérale idéale ! Une mise en image parfaite et sublime de ce roman écrit en 2000 et pourtant terriblement d’actualité en 2012.
Visionnaire et accusateur. Accusateur envers ce capitalisme qui dénature, déstructure et vide d’émotion. Mais l’être humain a besoin de vie, d’émotions, de sensations, jusqu’à finalement se perdre ici lui-même au moment où il renait à la vie, à sa vie. Au moment même où ce monde qu’il croyait si bien maitriser lui échappe peu à peu, ainsi que toute sa richesse financière.
Il y a 1000 choses à dire sur ce film hypnotique, décalé, mais pourtant bien ancré dans la réalité.
Brutal, lent et sensuel, il est articulé autour d’Eric Packer, jeune trader multimillionnaire qui aime tout contrôler et qui un matin d’avril 2000 souhaite se faire couper les cheveux. Il traversera alors à bord de sa limousine ultra moderne et  high tech, la ville de New York qui est paralysée par la visite du président et par des manifestations diverses. Entouré de gardes du corps il sait qu’une menace pèse sur lui. Quelqu’un cherche à le tuer, mais lui n’a qu’un but aujourd’hui, se faire couper les cheveux. Nous allons alors le suivre dans ses aventures sexuelles et ses rencontres du jour tout en traversant la ville secouée par des émeutes anarchiste anti-capitaliste, un entarteur et les funérailles d'un ami rappeur...
Il mettra alors la journée à rejoindre sa destination finale. Un chemin où le monde extérieur défile au travers de ses vitres teintées, aux allures parfois apocalyptique et qui parfois vient à lui dans une limousine a son image, ultra perfectionné mais finalement froide et impersonnelle.

Un film lent, qui pose un regard désenchanté sur le monde qui ici se symbolise par une traversée de New York lente, chaotique et laborieuse alors qu’Eric lui va vite à la réflexion et à agir sur le futur. Sa volonté de tout contrôler et d’utiliser les meilleures technologies appuyant ou dénonçant les discours échangés avec ses diverses rencontres ou au contraire prouve qu’il est conscient de tout et de toute chose. Visionnaire à l’instinct surdévelopper, il ira même au devant de sa propre fin en détruisant tout ce qui constituait son univers suite à un mauvais choix. Un fait lui échappe et il décide alors de détruire tout ce qui l’entoure, comme pour se prouver qu’il peut encore contrôler son univers, même si il ne peut maîtriser sa chute inéluctable. Perdant le Yuan, il ne peut tolérer un retour en arrière et l’échec… Pourtant ruiné il devient libre et revient finalement sur le lieu de son enfance de ses racines pour voir Anthony, son coiffeur, le dernier lien qu’il possède avec son père.

Certes, j'en conviens "Cosmopolis" peut être lourd et pompeux, mais il n’en demeure pas moins sincère et empreint de vérité. Chaque ligne de dialogue, qui reprend d’ailleurs mot pour mot les dialogues du livre, est une source d’information sur ce que le film cherche à nous démontrer, à nous apprendre. Là où le livre peut paraître encore plus bavard, certaines phrases viennent ici nous percuter et reste un peu en nous et pousse à la réflexion. Encore une fois, la mise en image de Cronenberg est remarquable.

C’est pour moi un film plein de coup de cœur et ce dès le générique d’ouverture, avec cette peinture abstraite de Jackson Pollock qui défile sur une musique qui nous plonge de suite dans l’univers et l’ambiance du film et que j’aurais facilement écouté pendant la lecture du livre.

Gros coup de cœur ensuite, pour la mise en scène de David Cronenberg et ses plans ralentis, sa caméra qui se mouve dans en un mouvement quasi humain, pour se substituer aux personnages sur certains plans : le plan d’ouverture ou dans la bibliothèque…

Une mise en scène qui mêle gros plans et alternance hypnotique. Tout se joue dans la limousine, le monde vient à Eric avant qu’Eric n’aille vers le monde et s’avère dans un mouvement prémonitoire être aussi sa fin.  Tous les personnages viennent à lui, ses employés, son médecin (scène mémorable d’un examen de prostate), il n’y a que deux personnages vers qui il va, sa femme son coiffeur et celui qui le menace…Présent, passé et futur…

Une mise en scène donc qui reprend admirablement chaque étape ou presque du livre, la scène où il retrouve Elise dans son taxi est parfaite et digne de mon imaginaire de lecture.

On peut donc trouver le film bavard, alambiqué et peut-être ennuyeux pour celui dont les discours philosophiques touchent peu, mais on ne peut renier ce qu’il dénonce, mais aussi la performance d’acteur de Robert Pattinson qui va crescendo tout au long du film. Comme Eric sort de ses cases de routine et de contrôle, Robert se révèle lui aussi dans un jeu subtil, parfois fait uniquement d’expression corporelle avec une gestuelle sobre mais intense. Un sourire, un regard, un mouvement… Un jeu plein d’émotions et d’expressions. On peut effectivement pour le coup penser que le jeu de Robert Pattinson est trop lisse, trop solennel, prétentieux, froid et linéaire, mais c’est Eric. Le personnage de Don DeLillo est ainsi, il ne s’éveille que par petite touche, mais surtout sur la presque fin de l’histoire.  Je me surprends tout au long du film à me dire « il est tellement Eric » pour finalement complètement oublier qu’il joue. Il est Eric… Eric se dévoile dans les risques qu’il prend, il sourit des dangers qui l’entoure. Comme il le dit à de nombreuse reprise dans la scène finale "Je n’aime pas être raisonnable". Les scènes de sexe peuvent dérouter, mais restent cohérentes dans la quête d’Eric de se sentir vivant…
Une performance épatante qui je pense en déroutera donc plus d’un ou d’une. Même si il devient de plus en plus beau, notamment lors de la scène du restaurant pendant le diner ou lors de sa rencontre avec Benno où il est carrément sublime (midinette forever). Un mélange d’assurance nouvelle et de vie. Son physique évoluant carrément en fonction de son avancée dans l’histoire. Propre, impeccable et sûr de lui dans son costume sur mesure, lunette de soleil et cheveux impeccablement coiffé, il finit sans veste, sans cravate, la chemise tachée et les cheveux à moitié coupé…

Une prestation de Robert Pattinson absolument épatante et brillante, qui joue subtilement avec une palette d’émotion extrêmement large. Surtout sachant que le réalisateur a pour habitude de ne tourner qu’avec une à deux prises. Gage que David Cronenberg l’a bien mis à l’aise et qu’il est talentueux lorsqu’il est en confiance. La scène finale est à elle seule une véritable prouesse d’acteur. La légende assure d’ailleurs qu’il n’aura suffit que d’une seule prise…

Les larmes m’ont toujours bouleversée, certes, mais avec les larmes on ne triche pas, les larmes de crocodile se voient à des kilomètres. Ici il faut être bien insensible pour ne pas réagir aux siennes.

Tout ce que l’on a pu deviner de son talent dans ses précédents films est pleinement révélé par David Cronenberg et sa maturité éclate. Je suis sous le charme, épatée, j’ai envie de dire bravo Mr Pattinson… Virage réussi !

Le reste du casting est lui aussi tout autant idéal, Sarah Gadon (Elise Packer), fait une Elise merveilleuse de froideur et de contrôle, Juliette Binoche (Didi),est décidément talentueuse et criante de vérité dans sa scène avec Eric. Mathieu Almaric est toujours aussi épatant et il fait un parfait entarteur fou, plein d'urgence et de colère. Enfin Paul Giamatti (Benno Levin) fonctionne parfaitement dans cet homme un peu fou et obsédé par Eric Packer. Le reste du cast est très bon également dans les rôles mineurs et répond parfaitement à l'imaginaire du livre.

Adaptation littérale donc, mais pas que, certaines scènes sont simplifiées (Didi/Juliette Binoche, le théâtre, la procession) ou supprimées (la  dernière scène avec Elise) mais finalement amènent un peu plus rythme et de tension dans ce huis clos dans le monde d’Eric qui se réduit à sa limousine. La scène finale connaît également des changements mineurs mais bien amenés et bien vus. Un passage digne d’un confessionnal prouve à elle seule encore une fois le talent de Cronenberg…

Toute l'ambiance créé par David Cronenberg et ce presque silence est dans la ligne directe de l'ambiance créée par Don DeLillo dans le livre. Il existe très peu de bruit, de la limousine, on a pas ou très peu de bruit extérieur, pas ou très peu de musique d’ambiance, on est dans l’instant, le moment sans parasite. Eric ne sort de la limo que pour voir Elise (sa femme), son coiffeur (son passé) et changer de vie. Un ajout de Cronenberg bien vu. Les détails ont également leurs importances, les descriptions de Don DeLillo sont très bien reprises ici, mais la décoration est aussi pleine de détail. Je pense notamment à l’immeuble de Benno où les tables sont recouvertes de disquettes, et oui nous sommes en 2000. Eric lui a le meilleur du top de la technologie pendant que Benno vit au milieu de détritus dans un vieil immeuble abandonné, avec des pièces remplis de disquettes et d’ordinateur hors d’usages. Tout deux dans leur monde et dans leurs folies.

Une scène finale de 22mn qui nous révèle de la vie d’Eric, sa volonté de toujours tout contrôler et avoir toujours plus que les autres. Ou pire que les autres. Benno lui assenant ses vérités, sa vérité, la vérité. L’équilibre était sa quête… Mais déséquilibré par cette journée, il cherche à rééquilibré les choses. Eric reste Eric, même mise  en joue par son assassin, il s’amuse avec son arme, la met dans sa bouche et finalement se tire dans la main lui-même. Il maîtrise même sa souffrance, même dans les larmes, jusqu’à l’instant final, la dernière image et ce regard qui reste imprimé en nous quelques secondes… Avec un mot résonne alors en tête : Oh Putain !

Seule petite déception, pour moi, on ne sent pas assez ce hasard qui réunit Eric et Elise. Il me manque cet instinct qui pousse toujours Eric à trouver Elise où quelle soit lorsqu’il est proche d’elle sans qu’il ne le sache… Difficile moi ? ^^

Bref (si, si je sais faire ^^), David Cronenberg délivre une mise en image terriblement efficace et profondément respectueuse du roman de DonDeLillo qui dénonce les dérives et les dommages collatéraux du capitalisme via une illustration d’une jeunesse sophistiquée et glacée qui se perd lorsque l’émotion survient. Une analyse des rapports humains pointant du doigt les dangers de l’individualisme et de l’égoïsme. Il est tout à fait ce que j'en attendais après lecture.
A découvrir assurément, même si je pense sincèrement, que malheureusement il ne se comprend que mieux que par ceux ayant lu le livre…

En bref : une adaptation littérale idéale ! Une mise en image du roman parfaite! Grande mise en scène de David Cronenberg où Robert Pattinson se révèle. Démentiel en Eric Packer. Un film qui ne peut laisser indifférent, on aime ou on déteste... A voir, laisser agir et à revoir...

Ici une critique de Nicolas Gilli de Filmosphère que j'ai trouvé extrêmement pertinente et plus claire que la mienne ;)

Citations / morceaux choisis : 

"Mais le phénomène de la réputation est une affaire délicate. L'ascension sur un mot et la chute sur une syllabe."

"Ils veulent bloquer le futur. ils veulent le normaliser, l'empêcher d'engloutir le présent."

"Montre moi quelque chose que je ne connais pas."

"Paralyse moi jusqu'à l'ADN"

« Un rat devint l’unité d’échange »

« Mets toi un chewing gum dans la bouche et arrête de le mâcher »

« On a que des minutes à vivre »

« Détruit le passé, construit le futur »

« La violence recquiert une cause, une vérité »

PS : le logo de Stone Angel découvert en début de générique est vraiment top !
P'tites infos + (source): 

Fin différente du roman
Le film Cosmopolis est très fidèle au roman du même nom. Il y a cependant, comme dans toute adaptation, quelques changements par rapport à l’œuvre originale. Dans le cas de Cosmopolis, c'est notamment la fin du livre, assez étrange, qui a été modifiée : "dès que je l’ai lue, je me suis dit : ce n’est pas en train d’arriver, c’est juste dans l’imagination de Packer. Je n’y crois pas", se souvient David Cronenberg. Dans cette fin, le personnage principal se retrouvait au milieu d'un tournage de film, chose qui ne convenait pas au réalisateur : "Je me méfie des films dans le film. Cela peut être intéressant, mais à condition qu’il y ait une vraie nécessité."

Un tournage en partie canadien
L'intrigue de Cosmopolis a beau intégralement prendre place à New York, le tournage s'est aussi déroulé à Toronto, la ville du réalisateur David Cronenberg : "On a fabriqué l'espace du film en associant des éléments qui se trouvent vraiment à New York et d'autres à Toronto, où on tournait tous les intérieurs en studio", explique-t-il. De plus la majorité du film se déroule à l'intérieur d'une limousine, "il était par conséquent impossible de tourner ce film dans une véritable limousine, il fallait reconstruire en studio pour pouvoir déplacer la caméra", poursuit le cinéaste, avant de conclure : l'essentiel, c'est la limousine, qui elle-même est moins une voiture qu'un espace mental : être dans la limo, c'est être dans la tête d'Eric Packer. Voilà ce qui compte."

 "Cosmopolis" de Don DeLillo a d'ailleurs été réédité chez Actes Sud avec l'affiche du film ;)



Mon avis sur le livre http://noaetsonmonde.blogspot.fr/2012/03/livre-cosmopolis-de-don-delillo.html

2 commentaires:

  1. « Mets toi un chewing gum dans la bouche et arrête de le mâcher »
    Dans le film (j'ai pas lu le livre) c'est pas ça l'idée. De mémoire c'est "Take a gum in your mouth and try not to chew it". Donc c'est pas une question d'arrêter de le mâcher, mais de résister à la tentation de le mâcher.
    L'image est différente, et dans le contexte du dialogue où cette phrase intervient ta citation n'aurait pas de sens. ;)

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  2. Je n'ai pas développer dans mes morceaux choisis, mais c'est bien ce que l'on comprend dans le film. On est bien d'accord sur la métaphore d'Eric. Je n'ai pas vu la VO et n'ai vu le film qu'une fois, j'ai sûrement mal retenu cette phrase. Cela devait sûrement être "Mets toi un chewing gum dans la bouche et retiens toi de le mâcher. Je revois le film mercredi en VO ;) au grand rex ;)je ferais attention.
    Merci de ta vigilance. ;)

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